L’apprentissage du mépris. Haïr par amour.

L'apprentissage du mépris
Dans le groupe social Machin-Truc (« groupe social » : pays, village, planète, groupe, religion, parti politique, club sportif, tout ce que vous voulez), vit la famille Truc.

 

Un point sur lequel ils sont tous d’accord, c’est que les «Je-ne-sais-qui» sont méchants : ils sont des dangers pour le groupe social Machin-Truc, ils veulent y prendre le pouvoir, ils lui veulent du mal, détruire la noble culture Machin-Truc, détruire les honnêtes gens qui la composent; en plus, c’est simple : tous les honnêtes gens font partie de Machin-Truc, ailleurs, c’est les autres.

 

L’impact de l’entourage

Le petit Toto Truc a 3 ans, il est très gentil, il adore les gens de sa famille. Il joue avec eux, découvre le monde avec eux, que ce soit dans des paysages de rêve ou au pied des HLM. Il s’est déjà constitué une foule de souvenirs grâce à eux.

 

Ils lui ont donné à manger quand il avait faim, à boire quand il avait soif, il a un toit et un lit (ou une natte sur le sol) grâce à eux. D’une seule parole ou d’un seul geste, ils lui ont sauvé la vie, souvent : quand il s’aventurait à quatre pattes en haut d’un escalier, quand il a essayé d’attraper son ballon devant une voiture, son jouet en se penchant par la fenêtre. Même s’il n’a pas vraiment conscience de tout cela, son corps le sait, et c’est important. Et puis, quand ils se fâchent après lui, « c’est sûrement parce qu’il avait tort : la preuve qu’ils ont raison, c’est qu’ils sont grands ».
L'apprentissage du mépris : haïr par amour (familial)

 

Ses proches lui ont beaucoup appris : grâce à eux il sait marcher et parler, reconnaître des plantes et des animaux, ou des livres, ou … comment faire marcher la télé; ils ont dit plein de choses vraies, des choses de la vie courante, qu’il pouvait vérifier instantanément; alors quand ils disent que les « Je-ne-sais-qui » sont méchants, …c’est forcément vrai !

 

C’est l’amour qui scelle les conditionnements… 🙁

L’apport physique et émotionnel de la famille est énorme, même dans les pires conditions : 90 % de positif au moins, même si le 10 % qui reste consiste en maltraitances en tout genre. Les enfants éduqués dans des conditions aberrantes, les enfants maltraités, sont tout de même des enfants en vie (en général).

 

La plupart des enfants battus restent très attachés à leurs parents et à leur mode de vie, sauf peut-être quand ils ont connu autre chose (placement provisoire, rencontres prolongées avec d’autres familles).

C’est sur ce 90 % de positif que peuvent se construire les pires croyances, les pires stratégies.

Entre autres, l’apprentissage du mépris.

 

Les stratégies de Toto

Le gentil Toto veut faire plaisir à sa famille. Alors, il dit aussi que les « Je-ne-sais-qui » sont méchants. Il ne les connaît pas, il ne leur a jamais parlé (surtout pas !) mais il sait qu’ils sont méchants et dangereux. Et qu’il ne faut donc pas les approcher, normal, puisqu’ils sont méchants et dangereux. Enfin, si : il en connaît un ou deux qui sont gentils, le boulanger, le voisin, mais ceux-là, c’est pas pareil, et puis quand même, méfiance, il faut pas trop les fréquenter.Et quand Toto dit des blagues sur les « Je-ne-sais-qui », il fait rire tout le monde autour de lui, on le trouve intelligent, on dit qu’il réussira dans la vie.

 

Quand il peste après les « Je-ne-sais-qui », qu’il dit que quand il sera grand, il fera triompher la cause des Machin-Trucs, on le trouve très courageux, très fort.

Et quand on se dispute dans la famille, il peut réconcilier tout le monde en disant quelques bêtises contre les « Je-ne-sais-qui » : quel pouvoir !

 

Paradoxalement, Toto utilise la haine contre les « Je-ne-sais-qui » comme un moyen de rétablir la paix, l’harmonie, la bonne entente. Il s’en sert aussi pour apaiser ses angoisses, et pour avoir le sentiment d’avoir de la valeur. L’apprentissage du mépris a bien fonctionné. 

 

Et des années plus tard, des dizaines d’années plus tard, quand ça va un peu mal, quand un nuage noir passe dans son inconscient : un petit jet de venin contre les « Je-ne-sais-qui » (même simplement dans sa tête), et tout va mieux.

 

 

Des familles paisibles…

Si on met des images précises derrière ces personnages, on voit mieux comment se constituent les « monstres » qui nous entourent.

 

Imaginez un repas du soir, au Moyen-Âge, baigné de la lumière dorée des torches, et du regard attendri d’une maman fière de sa progéniture.

 

Ce chaleureux moment familial se passe chez un Grand Inquisiteur.

– «Tu as passé une bonne journée, Papa ? Tu as bien torturé tous ces méchants ? Je suis sûr que Jésus est très fier de toi. Tu sais, j’aimerais bien venir t’aider dans ton travail….

– Pas tout de suite, mon fils, tu es encore petit; mais quand tu seras plus grand, oui, promis… et tu pourras faire le même métier que moi.

– Je suis très content, Papa; grâce à toi, j’irai sûrement au Paradis.»

(Heureusement que Jésus est au-delà de tout risque de découragement… Quand on voit les horreurs faites en son nom, il y aurait de quoi faire une dépression !)

 

Dans le même genre, vous avez sûrement vu le film «Le Parrain» : intéressant de voir comment une famille unie transmet des valeurs … étranges.

 

Décembre 2023 : Sur ces mêmes sujets, je viens de regarder cette vidéo très intéressante : La sombre histoire des enfants des chefs nazis – HDG #50
En voici la présentation :
« Gudrun Himmler, la « princesse nazie », et Martin Bormann Junior, le « prince héritier », étaient les enfants de deux chefs nazis. Gudrun était la fille de Heinrich Himmler, responsable des camps de concentration du Troisième Reich. Tout au long de sa vie, elle n’a cessé de défendre son père et tenté de réhabiliter sa mémoire. Martin Junior, quant à lui, a renié son héritage familial. Fils de Martin Bormann Junior, le secrétaire personnel d’Adolf Hitler, il a tourné le dos au nazisme pour devenir prêtre. Découvrez la sombre des enfants des chefs nazis. »

 

Une suggestion : imaginer en quoi a consisté l’apprentissage du mépris chez les gens que vous ne supportez pas

Essayez d’imaginer l’enfance de gens, de groupes de gens, qui vous « hérissent ». Leur enfance, leur vie quotidienne, le passé de leur famille plusieurs générations en arrière: vous imaginez cela quelques secondes, maintenant, tout de suite. Ça éveillera votre curiosité et vous aurez sans doute envie de continuer. Je l’ai fait plusieurs fois, d’abord pour tenter de calmer des discours de haine contre un groupe social, puis pour moi-même, concernant des gens avec qui « c’était un peu compliqué ».

 

Après, vous ne verrez sans doute plus ces personnes de la même manière. Les voir différemment, comprendre en quoi a consisté pour eux l’apprentissage du mépris, ne veut pas dire adhérer à leurs valeurs, que ce soit bien clair !
Mais vous verrez les PERSONNES, pas seulement les ACTES; et c’est plus apaisant… pour vous et pour le monde.

 

Dans « Apprendre à pardonner », le Dalaï-Lama imagine que s’il était né dans une famille chinoise, il penserait probablement comme eux…

Et un proverbe d’Amérique du Nord dit quelque chose comme «Si tu n’as pas passé plus d’une semaine dans les mocassins de quelqu’un, tu ne peux pas te permettre de le juger» (en sous-entendant sûrement que : quand tu l’as vraiment fait, tu n’as plus envie de les juger).

 

D’autres raisons de devenir un « méchant ».

En relisant cet article bien après l’avoir écrit, j’ajoute ce paragraphe.

Ici, il était question d’apprentissage de la haine  par conditionnement familial. Ce n’est bien sûr que l’une des causes possibles : les autres s’apparenteraient à des traumatismes de toute sorte.

En fait, dans le cerveau, il y a le circuit de la récompense, et le circuit de la peur (voir l’article sur l’amygdale).

  • Chez le gentil Toto de cet article, son circuit de la récompense est beaucoup alimenté par la haine des  « Je-ne-sais-qui »; parallèlement à cela,son circuit de la peur capte très bien que s’il se mettait à vouloir la paix avec les « Je-ne-sais-qui », il risquerait gros.
    Ce genre de situation alimente la littérature : Roméo et Juliette, entre autres. Malheureusement, elle alimente aussi les prisons et les cimetières : beaucoup de ceux qui ont tenté de réconcilier deux camps ennemis en ont souvent fait les frais. (pas toujours ! voir Marshall Rosenberg… mais même pour lui, ça n’a pas été simple tous les jours).
  • Suite à un traumatisme, de nombreux déclencheurs activent le circuit de la peur : souvent des déclencheurs insignifiants pour la plupart des gens, je parle de phobies, entre autres. Une façon très très courante de se défendre contre les peurs inconscientes, c’est l’agressivité. Et quand un agressif rencontre d’autres agressifs… ça commence à former un gang ! ou une armée.

 

Avez-vous fait l’exercice ci-dessus (celui d’imaginer la vie d’un « méchant »), même quelques secondes (ou plus !) ?

Comment l’avez-vous ressenti ?

Je serais très heureuse que vous le partagiez avec nous dans les commentaires. Merci 🙂

 

 

séances individuelles.

 

2 réflexions sur “L’apprentissage du mépris. Haïr par amour.”

  1. BENVENUTI André

    Je trouve ce raisonnement « conditionnement » de l’enfant un peu simpliste.Il y a d’autres influences que la famille pour forger un « petit homme » et ces influences là deviennent de plus en plus prégnantes et donc importantes: les copains,copines,les profs,les autres membres de la famille (les familles sont hétérogènes),les médias etc…Je suis passé par là et suis devenu un « étranger » dans ma famille à force d’être différent…Ne pas oublier ce vieux proverbe »: l’homme se pose en s’opposant »…

    1. Bonjour André, merci de ton commentaire.

      C’est nécessairement « simpliste » au sens où un article de quelques lignes ne peut pas refléter la complexité et la diversité des êtres.
      Bien sûr que dans un milieu un minimum ouvert, avec des « familles hétérogènes », avec les livres et maintenant avec Internet, il est plus facile de regarder ailleurs et d’y trouver d’autres modes de vie et de penser. Mais certains milieux sont très fermés, tous les gens que fréquentent la famille ont des idées très proches, l’école aussi, les voisins aussi.

      Mon but dans cet article, c’est de proposer à ceux qui le lisent de passer quelques secondes ou minutes « dans les mocassins des gens qu’on détestait », pour ne plus avoir envie de les juger : en référence au proverbe indien «Si tu n’as pas passé plus d’une semaine dans les mocassins de quelqu’un, tu ne peux pas te permettre de le juger». J’essaie de le faire chaque fois que je m’aperçois que je pense du mal de quelqu’un : je me demande ce qu’il a pu vivre (conditionnements de son milieu, traumatismes, influence psychogénéalogique, …) pour faire et dire ce qu’il fait maintenant. Je me trompe probablement, mais peu importe : cet exercice d’imagination calme très vite mes anciennes « certitudes » sur lui.

      A bientôt 🙂 . Bises

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut
0 Partages
Partagez
Tweetez
Partagez