Dans le cadre de mon cours de yoga, j’ai assisté à une conférence passionnante, par Alyette Degrâces, sanskritiste et philosophe indianiste. Son titre : « L’Asana – posture et assise ».
A certains moments la complémentarité du Yoga avec l’EFT, ou des similitudes dans ces deux démarches m’ont donné envie d’écrire cet article.
Je fais ici un résumé de certains points de cette conférence, en les accompagnant de mes réflexions personnelles.
J’écrirai en caractères « normaux » ce que j’ai retenu de la conférence, en italiques mes remarques personnelles. Les mots sanskrits seront écrits comme ils se prononcent en français.
Les Asanas vues de l’extérieur
Le mot « Asana » désigne les « postures » de yoga qui viennent immédiatement à l’esprit. Ainsi « Padmasana » (Padme / Asana : Lotus / Posture) désigne la posture du lotus, où les deux jambes sont croisées comme on croiserait les bras, Bhujangasana désigne la posture du cobra, etc.
Mais de la même manière que pour les exemples ci-dessus, le mot « asana » a des significations bien plus profondes que les simples « contorsions étranges » réputées bonnes pour la santé (physique). Elles le sont, bien sûr… mais ce n’est qu’une toute petite partie de leur rôle.
Les multiples sens des mots
La spécialiste du sanskrit insiste sur le sens que prennent les mots, en fonction du niveau de conscience du locuteur ou du lecteur. Ce point clé a fait l’objet du début de la conférence.
Comme quand on relit un même livre beaucoup plus tard : la maturité acquise nous fait voir des significations que nous n’avions pas perçues…
Dévas et Asuras
Ainsi, le mot Déva désigne souvent un dieu, le mot Asura désigne un démon. Mais une réflexion plus profonde leur donne un sens différent, intérieur au lieu d’extérieur, et fait pour aider à notre évolution spirituelle. :
- les Dévas représentent nos parts de Lumière,
- les Asuras, nos parts d’ombre, nos démons… intérieurs.
Je « traduis » encore dans le vocabulaire de ce blog :
- les Dévas représenteraient notre Sagesse Intérieure et les parts de nous qui en sont les plus proches,
- et les Asuras nos programmations, nos habitudes mentales. Certains parleraient sans doute aussi d’ego et de saboteurs, mais je préfère voir en eux des Protecteurs maladroits. En effet, rien n’est « méchant », « à rejeter » : TOUT est UN. Et le di-able est seulement la (grande) partie de nous qui oublie cette unité. C’est normal, finalement : c’est la règle du jeu du monde de la dualité. Et on peut même trouver ce jeu tout à fait passionnant.
Purusha : l’humain, l’Humain
Autre exemple : le mot « purusha » désigne dans le sens courant un homme, un humain. Mais il désigne aussi ce que nous pourrions traduire par « Purusha » avec une majuscule, si le sanscrit comportait des majuscules. « Purusha » désigne l’humain qui a retrouvé sa véritable nature divine, ou sa nature divine en tant que telle, sa Sagesse Intérieure.
Là encore, les niveaux de lecture sont multiples : un même texte peut parler d’un humain « banal », et ce qui sera dit dans le texte doit se lire à ce niveau. Le même texte peut sans doute se lire à un niveau psychologique, et aussi à un niveau purement spirituel.
Majuscules invisibles, et lectures multiples.
Il n’y a pas de majuscules en sanscrit. Les textes peuvent donc se lire à l’un ou l’autre niveau, selon ce que chacun peut en retirer.
On peut faire l’analogie avec les différentes lectures de Contes de fées, qu’on peut classer :
- à un niveau terre-à-terre : une petite histoire de prince et de princesse, qui après bien des péripéties, « vécurent très heureux et eurent beaucoup d’enfants ».
- à un niveau psychologique, comme l’explique par exemple Bruno Bettelheim dans « Psychanalyse des contes de fées »
- à un niveau spirituel : le Prince est le Roi en puissance, celui qui recherche la maîtrise de lui (pas celle des autres !); son aventure est un voyage initiatique : il part en Quête de sa divinité intérieure (la Princesse, potentiel infini non encore manifesté); maintenue prisonnière par les limitations mentales, et conditionnements du Prince. Et ces « asuras » (on pourrait sans doute employer ce terme ici aussi) ont la puissance et la dangerosité du Dragon qu’il doit affronter.
« L’Asana – posture et assise ».
C’est le titre de la conférence dont il est question ici.
Très important : « Le mot Asana signifie à la fois la posture et l’assise. Quand la posture est parfaite, elle devient une assise« .
En suivant la logique de « Majuscules et minuscules, le Ciel et la Terre« , je devrais probablement mettre une majuscule à « Assise ».
Rechercher cette Assise revient à devenir le réceptacle stable de notre Sagesse Intérieure. Le calme du mental, des émotions et le non-agir physiquement lui laissent enfin la place…
Psychisme et plan physique
Si on modifie le psychisme, on modifie le plan physique; si on efface les croyances limitantes et qu’on se libère des émotions douloureuses (EFT : Emotional Freedom Techniques, Liberté émotionnelle), le corps physique va mieux, et bien d’autres éléments de notre vie terrestre, et on est beaucoup plus heureux.
C’est la démarche qui me passionnait dans mon métier de thérapeute EFT, au point sans doute de ne voir qu’elle. C’est déjà une clé tellement puissante qu’il est humain de passer des années à la faire fonctionner, avec un émerveillement croissant.
En d’autres termes :
Le psychisme change => le physique change.
OK. Magnifique, vraiment.
Mais ce n’est qu’une moitié de la solution. Qu’en est-il de l’inverse de cette implication :
« Le physique change => le psychisme change » ?
Et même : la posture physique change => des changements se produisent au niveau du psychisme.
C’est bien l’idée du Hatha Yoga, me semble-t-il : faire en sorte que des attitudes physiques, les postures, apaisent suffisamment le mental pour qu’il laisse la place à plus Grand que lui.
Et qu’à force d’être pratiquées, elles rendent ce calme intérieur de plus en plus facile à obtenir, de plus en plus habituel.
S’il suffit d’une heure de pratique par semaine, sans compter les absences et les vacances, pour que la plupart des pratiquants de yoga constatent une vraie différence dans leur vie, que serait-ce s’ils en faisaient beaucoup plus ?
Une posture doit-elle être seulement « ferme et confortable » ?
Cette traduction très fréquente des termes « Sthira » (« ferme ») et « Sukham » (« confortable ») ne convient pas du tout à Alyette Degrâces : le sens de ces deux mots est beaucoup plus profond.
Quoi que… maintenir longtemps la posture de l’Arbre (équilibre sur une jambe) de façon ferme (= sans déséquilibre !) et confortable (sans avoir mal à la jambe d’appui au bout de trèèès peu de temps.) me paraît déjà un idéal lointain. Sans parler de beaucoup d’autres postures auxquelles je n’ose même pas penser... 😉
Cependant : voir les choses à un niveau plus profond va vraiment aider… à cela entre autres, mais à beaucoup plus.
Une spirale ascendante
Là, on en revient à l’implication ci-dessus dans le sens du psychisme vers le physique; puis on remontera dans l’autre sens (influence du physique sur le psychisme) :
- on comprend mieux le sens de ce qu’on fait
- donc les émotions s’ordonnent, au lieu de se manifester n’importe comment (panique du corps devant la difficulté des postures de yoga)
- donc au niveau physique, la posture se fait … mieux.
- ce qui amène de nouveaux bénéfices au niveau psychique, donc spirituel.
Parce que tout cela constitue une spirale ascendante qui aide à être de plus en plus Connecté au Meilleur de nous-même.
Sthira et Sukham
Je rappelle la traduction fréquente de ces termes :
- « Sthira » : « ferme »
- et « Sukham » : »confortable ».
Sthira
« Sthira » vient d’un mot qui signifie « maîtriser » : s’appuyer sur la Vérité, le non-saisir, le détachement. La fermeté du non-saisir, du non-attachement; la stabilité.
C’est un point d’appui.
Or, LE point d’appui, le seul qui ne soit jamais déstabilisé par l’impermanence du monde manifesté, c’est notre dimension verticale, notre Sagesse Intérieure, notre Connexion à l’Univers.
Sukham
Sukham signifie Contentement, bonheur, c’est l’idée de « J’ai ce qu’il me faut », de « non souffrance » (Aukkha : souffrance).
Ce mot est sans doute apparenté à l’idée de désir satisfait, en sachant que l’idée de désir se comprend aussi à différents niveaux :
Cette dernière forme de bonheur, c’est la seule qui ne soit liée à aucun « objet » ni terrestre. ni même spirituel. En effet, le désir du divin est tout de même un désir. Il se situe dans la dualité : « avoir ou ne pas avoir le divin, là est la (fausse) question ».
Sthira et Sukham : contradictoires ?
Sthira a aussi le sens de fermeté dans l’objectif de maintenir la posture. Se raccrocher fermement à l’idée de notre Sagesse Intérieure, c’est réconfortant. Mais la décision ferme de maintenir une posture difficile… c’est moins agréable.
Sthira contient aussi l’idée de dépassement de l’effort : la limite, l’effort, nécessitent d’être dépassés. Ils ne sont que les premières étapes. Alyette Degrâces précise : « On reste dans la posture, mais on la vit de façon légère; comme dans l’apprentissage du piano : la détente suivra l’effort d’apprendre ».
Quant à Sukham, on se doute qu’il ne se limite pas à « Je suis contente, j’ai bien réussi ma posture, et en plus : même pas mal ».
Il touche au stade où la pensée se transmute en infini. On passe de anta (limite) à ananta (non-limite). Une question : ananta, c’est le même mot que Ananda, que j’ai jusqu’ici vu traduire par « Joie d’origine spirituelle » et qu’on retrouve souvent dans les noms de Yogis ? (à ce propos, j’ai adoré le livre « Autobiographie d’un Yogi« , de Parahamsa Yogananda : la Joie par le Yoga … tout un programme ! ).
Sthira, Sukham et Asana : dépasser la dualité.
Si sthira et sukham étaient antinomiques, on emploierait d’autres mots : le préfixe a- (ou an-) permettant de créer le mot contraire. On parlerait de de « sthira / asthira », et sukham / asukham »).
Or il s’agit d’aller au-delà des contradictions apparentes : force / détente, ou : volonté / lâcher prise.
La conclusion de la conférence était :
asana (au sens posture) < shtira -Sukha < Asana (au sens : Assise).
L’Asana prend tout son sens d’Assise, de centrage, dans ce dépassement de la dualité, entre autres celle que représente la dualité shtira-sukha.
On peut penser aussi au symbole bouddhiste de la Roue : quand la Conscience est au Centre, elle ne souffre plus des mouvements des rayons de la roue.
Voici le passage qui m’a décidée à écrire ce résumé, parce qu’il me faisait vraiment penser à l’EFT. Il était question de « Bhoga, samtosa et ananda » en tant que développement de l’idée de Sukham, contentement (voir ci-dessus), mais j’en fais un paragraphe à part.
Bhoga et point karaté
Jusque là, le rapport avec l’EFT n’est pas immédiat…
En fait, c’est ce schéma, avec ce petit rectangle à droite, qui a fait tilt.
ça y est, vous voyez la relation ?
Non ? Je vous ai soufflé la réponse pourtant, dans le titre ci-dessus : « Bhoga et point karaté ».
Voilà : « Même si je suis noyé dans mon problème, que plein de parties de moi sont persuadées qu’il n’y a aucune solution, je me rappelle un tout petit peu que j’ai une Sagesse Intérieure, et je Lui confie ce problème« .
On retrouve aussi les fluctuations du Yin et du Yang, et la symbolique du Solstice d’hiver, qui exprime que même dans la nuit la plus noire, la Lumière est toujours là.
D’où l’importance de s’imprégner de plus en plus de l’idée de Qui Nous Sommes Tous, pour que, même quand nous avons le sentiment de toucher le fond, notre Sagesse Intérieure puisse nous faire rebondir rapidement.
Elle le fera de toute façon, au pire dans une autre vie…
Alors, mieux vaut ne pas attendre jusque là 😉
D’autres articles : Tout en rédigeant ce résumé , j’ai digressé (ça m’arrive souvent !), ce qui a donné d’autres articles en rapport avec le Yoga.
- Notre Assise, notre support inébranlable … au Yoga et dans la Vie,
- et : Cortisol, antilopes, yoga et EFT
Merci Claude pour cet intéressant article ! Quand j’ai lu « sukha », cela m’a fait penser à « dukkha » – et ça m’a donné l’envie de lire un livre dont m’a parlé ma compagne, « Comprendre le bouddhisme » par Dennis Gira, un bouddhologue émérite dont nous avons eu la chance de voir durant sa dernière conférence à Tours (trop long à raconter pourquoi – on peut trouver ce livre ici https://amzn.to/2YgPpah ou chez son libraire). En passant, sukha ne signifie pas « désir terrestres » mais « bonheur, sensations agréables »… même si les désirs terrestres sont une des sources de sukha et dukkha. Bref ! Merci pour cet article inspirant !!
Salut Christophe. Je pense avoir dit plusieurs fois dans l’article que Sukha signifiait « bonheur, satisfaction », je suppose au sens de « désir terrestre satisfait ». Je relis la bannière bleue (dans le paragraphe Sukham) où j’ai écrit « désir terrestre » en dessous du mot « Sukha ». J’ai repris pour le texte de cette bannière exactement ce qui était écrit par la conférencière. Dans le contexte de ce qu’elle disait, c’était tout à fait compréhensible.
Mais quand il ne reste que l’écrit, effectivement on peut tenter de préciser.
– Sukha : désir terrestre satisfait (en fait, n’importe quel désir liée à l’incarnation, désir sexuel, désir de chocolat, désir d’apporter beaucoup au monde, etc.)
– Mahat Sukha : désir du Divin… mais quand ce désir est vraiment satisfait, il devient Trishnakshaya Sukha ! Donc on ne peut pas écrire de cette manière « désir satisfait du Divin ».
– Trishnakshaya Sukha : « le bonheur qui se définit par la destruction de la soif », donc l’atteinte du non-désir.
L’idée est seulement de faire la différence entre ces trois états : désirs terrestres (sans jugement sur leur nature), désir du non-désir, et atteinte du non-désir. Souvent état provisoire je pense, ce qui fait qu’on retourne aux deux premiers, puis de nouveau au troisième (état d’Eveil, probablement), et encore aux deux premiers, et ainsi de suite tant qu’on est incarné.
Est-ce que cela te paraît exprimé plus clairement ? Amitiés.